Interview du président de l’association Frères d’armes, Général Philippe Delbos
Q.1 : L’association Frères d’Armes a été créée en 1984 et vous en êtes le président depuis bientôt 5 ans. Pouvez-vous nous expliquer ses missions principales, comment elle a évolué depuis sa création et quels ont été les moments clés de son développement ?
Les missions principales de l’association sont :
- De participer à l’accueil et à l’intégration des stagiaires internationaux de l’enseignement militaire français.
- De participer à la diffusion de l’esprit de fraternité d’armes et de la compétence interculturelle entre stagiaires français et internationaux.
- De participer au maintien de la mémoire des anciens combattants de tous pays ayant partagé des combats avec la France. En 40 ans, Frères d’Armes a beaucoup évolué en devenant interarmées, en développant son réseau à l’international et en agissant plus fortement en appui des écoles de formation.
Q.2 : Comment Frères d’Armes collabore-t-elle avec le ministère des Armées et les écoles militaires françaises ?
La collaboration est organisée à deux niveaux :
D’une part, les principales autorités militaires sont représentées au Conseil d’administration et participent à la définition des objectifs et des actions à mener. D’autre part, des délégués du président de Frères d’Armes animent localement le dialoque avec les écoles et s’assurent de la parfaite coordination entre Frères d’Armes et le commandement des stagiaires.
Q.3 : Comment l’association facilite-t-elle l’intégration des stagiaires militaires étrangers en France ? Pouvez-vous partager quelques initiatives ou programmes phares mis en place pour favoriser leur insertion dans la société française ?
L’action de Frères d’Armes la plus significative et symbolique est le parrainage des officiers étrangers non francophone arrivant en fin-janvier pour suivre le stage de l’Ecole de Guerre à Paris. Ces officiers commencent leur scolarité par un stage intensif de langue française d’environ six mois et beaucoup d’entre eux découvrent la France, sa langue, sa culture et la complexité administrative et matérielle de l’expatriation, tant pour le militaire que pour sa famille. Les parrains et marraines leur expliquent les particularités françaises, les accompagnent dans leurs démarches, s’ils en ont besoin, tissent des liens d’amitié et favorisent une intégration harmonieuse et sereine.
Mais chaque école est différente et les besoins varient beaucoup en fonction de la localisation, de la durée des stages, de la situation des stagiaires (âge, grade, etc.) L’association développe systématiquement un programme d’activités pour l’accueil, l’information, la cohésion et le réseau (pendant et après le stage).
Q.4 : Pourriez-vous nous parler de la grande réception annuelle de l’association et de son importance pour les officiers stagiaires internationaux ? Quels sont les objectifs de ces rassemblements et comment contribuent-ils à renforcer la fraternité d’armes ?
Tout d’abord, cette réception a pour but de mettre à l’honneur nos stagiaires internationaux, de leur monter de la considération en leur offrant une réception de qualité dans un lieu magnifique et symbolique, la Rotonde Gabriel de l’Ecole militaire, et de leur permettre de rencontrer les plus hautes autorités, françaises et étrangères, des relations internationales militaires à Paris. Mais je pense que ce qui leur plait le plus, ce sont les contacts avec les stagiaires des autres organismes de formation des armées. Cette réception annuelle est une occasion unique pour les stagiaires de créer des liens d’amitié et de prendre conscience de l’immense réseau international que constituent les stagiaires, actuels et anciens, de l’enseignement militaire français. La fraternité d’armes est au cœur de cette activité de prestige, qui rassemble environ quatre cents personnes du reseau des relations internationales et de l’enseignement militaire, dont plus de la moitié sont étrangères.
Le thème de 2025 sera “Fraternité d’armes et compétence interculturelle”.
Q.5 : Vous avez occupé des postes de commandement dans différentes régions du monde. Quelles leçons de leadership tirez-vous de ces expériences et comment ces dernières influent elles sur vos décisions pour votre association ?
Le leadership et la culture militaire possèdent des invariants quelle que soit la région du monde. Les valeurs telles que l’exemplarité, l’abnégation, la compétence et l’équilibre entre exigence et bienveillance sont universelles. La notion de fraternité d’armes n’est pas uniformément répartie, mais c’est également une valeur universelle. Le combattant qui est bien commandé sait que sa propre valeur n’a de sens qu’avec l’appui de ses camarades de combat.
Pour autant, on observe de très fortes variations culturelles de la façon de commander, plus ou moins consensuelle par exemple. Cela induit souvent des incompréhensions entre personnes ou groupes de soldats de nationalités différentes. Même les procédures internationales de l’OTAN ne parviennent pas toujours à empêcher que les plans d’opération et les ordres de conduite ne soient interprétés différemment.
C’est pourquoi Frères d’Armes porte une importance particulière à la promotion et à la diffusion de la compétence interculturelle, gage de l’interopérabilité au combat.
Q.6 : Vous avez développé une expertise en interculturalité au sein des armées. Quelles sont les principales difficultés culturelles rencontrées par votre association avec des stagiaires militaires étrangers ?
Lorsqu’ils arrivent en scolarité en France, les stagiaires internationaux sont immédiatement confrontés à de multiples incompréhensions, soit parce que leur pays et leur armée ne fonctionnent de la même façon, soit en raison des différences de référentiels culturels qui ne leur permettent pas de comprendre pourquoi les Français agissent différemment de ce qui se fait dans leur pays.
La générosité et l’amitié des accueillants ne suffisent pas toujours à rendre la vie plus facile et il faut donner quelques clés de compréhension à l’accueilli pour qu’il puisse s’intégrer dans son nouvel environnement, sans perdre ses propres repères nationaux. Les parrains et marraines doivent eux-mêmes posséder une bonne compétence interculturelle pour pouvoir la transmettre aux filleuls.
Q.7 : Auriez-vous une anecdote marquante illustrant l’impact positif de l’association sur un stagiaire ou sur les relations interculturelles ?
Les stagiaires internationaux de l’Ecole de guerre sont particulièrement intéressés par le sujet de l’interculturalité car ils ont tous déjà vécu plusieurs expériences internationales et ont pris conscience de l’importance de la compétence interculturelle. Un officier stagiaire a même rédigé son mémoire de stage sur la dimension interculturelle de la relation binationale de son pays avec la France et m’a demandé d’être son directeur de mémoire.
En ce qui concerne les jeunes officiers de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, les préoccupations sont plus immédiates et pratiques, mais ils sont très impressionnés par les traditions militaires et toute la dimension culturelle qui les sous-tend. Lorsqu’on entre dans ce sujet avec eux, ils posent de nombreuses questions qui montrent leur besoin de comprendre les différences culturelles.
Q.8 : Quelle place accordez-vous aux initiatives comme Frères d’Armes dans la diplomatie de défense française ?
L’association a été créée en 1984 par les acteurs de la diplomatie de défense française et est toujours liée au ministère des Armées et au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères avec lesquels les échanges sont permanents. Ces partenariats sont essentiels car la fraternité d’armes internationale n’a de sens qu’en accompagnement des institutions militaires de chacun. Inversement, la structure associative fournit une garantie de pérennité du réseau et favorise la générosité et le bénévolat. Pour la France, la fraternité d’armes est un facteur de confiance entre armées alliées et fonde la véritable interopérabilité.
Q.9 : Quels sont vos projets et ambitions pour l’avenir de Frères d’Armes ? Comment envisagez-vous le développement de l’association dans les années à venir pour répondre aux besoins des stagiaires et renforcer les liens internationaux ?
Frères d’Armes poursuivra sa mission de mise en valeur de la fraternité d’armes internationale en élargissant ses capacités d’action à tous les stagiaires des armées et services du ministère des Armées français et de ses partenaires, et en développant son réseau mondial partout où se trouvent des anciens stagiaires de l’enseignement militaire français qui veulent se retrouver.