Développer la compétence interculturelle

Résumé de la conférence de Laëtitia Ndong

« Développer la compétence interculturelle »

Mercredi 12 novembre 2025 à l’École militaire, Paris

Les auteurs ne s’accordent pas sur une définition de la compétence culturelle. Certains affirment qu’elle est un trait de personnalité, d’autres qu’elle est le fruit d’un apprentissage et pour d’autres l’articulation des deux. Je suis d’avis qu’une sensibilité interculturelle est nécessaire pour développer la compétence interculturelle.

Selon Albert Jacquard[1] « la rencontre des différences est la condition de toute création ». Les mots « rencontre » et « création » résument bien le processus d’interculturation qui se joue lorsque la rencontre interculturelle devient un espace de co-construction. Mais pour que se produise l’interculturation, il faut un préalable indispensable : la compétence interculturelle.

M’appuyant sur mon expérience de terrain, acquise lors de mes expatriations et de ma pratique de psychologue interculturelle, je présenterai les trois dimensions de la compétence interculturelle, telles que les définit Darla Deardorff (2009) : affective, cognitive, comportementale.

 

La dimension affective est importante, car elle permet de s’intéresser sincèrement à l’autre et de construire des relations interculturelles positives. Ainsi, l’ouverture d’esprit, la curiosité, l’empathie sont des attitudes essentielles.

La rencontre interculturelle s’accompagne d’expériences émotionnelles et affectives qui nous permettent de prendre conscience que des comportements que nous considérons comme « normaux » ne le sont pas pour les autres. Apprendre à identifier ses affects, savoir prendre de la distance ou encore accepter des comportements culturels qui ne nous sont pas habituels est une démarche nécessaire. Il est important de prendre conscience de soi et du fait que nous sommes programmés culturellement. Cela amène à connaître ses limites : « jusqu’où est-ce que j’accepte les différences ? »

Témoignage : Il y a quelques années, alors que je me promenais au marché sur l’île de Raiatea en Polynésie française, avec mon fils de quatre mois dans les bras, je décidai d’acheter quelques fruits et légumes qui me plaisaient. La vendeuse me demanda alors de lui « donner le bébé » afin de libérer mes bras. Cette petite phrase, qui dans un autre contexte peut paraître anodine, a créé chez moi une vague d’inconfort. Je venais d’arriver sur l’île, en première expatriation, avec mon premier enfant… Autant dire que je n’étais vraiment pas à l’aise avec cette idée, mais je lui ai laissé mon bébé, le temps de me rendre à ma voiture déposer mes achats. Quand je suis revenue, mon fils n’était plus dans ses bras et je ne le voyais pas. Vous imaginez la grosse montée d’angoisse de la maman. En réalité, il était à l’étage et avait fait le tour des bras cajoleurs des « mamas ». J’ai alors compris que mon enfant était aussi celui de la communauté, communauté qui s’entraide. Le fait d’avoir confié mon enfant fut interprété comme un signe de confiance, moi la « popa’a » (l’étrangère) fraichement arrivée, j’ai « donné » mon enfant sans hésitation… apparente.

 

La dimension cognitive résulte d’un apprentissage et consiste à mieux comprendre les différences culturelles, les systèmes de valeurs, les normes sociales et les modes de communication propres à chaque culture. Cette dimension inclut aussi la conscience de sa propre culture et de ses biais, ce qui permet de s’éloigner d’une lecture culturaliste ou ethnocentrée.

Témoignage : Pour les Français qui travaillent en Allemagne, il est souvent mal compris pourquoi la prise de décision prend autant de temps. Leurs camarades allemands examinent tous les tenants et aboutissants, toutes les possibilités… discutent longuement. Mais une fois que la décision est prise, ils s’y tiennent. C’est un consensus qui s’impose à tous. Du côté français, le processus est différent : la prise de décision est plus rapide, mais chacun ne se sent pas forcément engagé par la décision « collective ». Ces modes de fonctionnement qui s’opposent peuvent créer des conflits interpersonnels ou professionnels, des frustrations, un sentiment de rigidité ou un manque de fiabilité.   D’où l’importance d’observer, de comprendre et d’avoir une connaissance des spécificités nationales, des méthodes de travail ou des parcours de formation.

Cette dimension nous rappelle aussi que la culture ne se limite pas aux origines nationales, mais qu’il existe des cultures institutionnelles, organisationnelles et professionnelles.

 

La dimension comportementale caractérise la capacité à adapter son comportement verbal et non verbal selon les contextes, à pratiquer l’écoute active et à mettre en place des stratégies de communication « interculturelle » efficaces. Il s’agit de s’appuyer sur les dimensions affective et cognitive, et d’essayer de s’adapter aux attentes de l’autre, en fonction de sa culture, et à modifier ses propres comportements. C’est donc aussi ajuster sa communication et adapter sa posture.

Témoignage : J’ai exercé pendant quelques années au sein du centre médical interarmées (CMIA) français, à Libreville, au Gabon. J’y ai découvert un « monde différent » du mien, codifié, hiérarchisé, structuré par des valeurs et des usages que je ne connaissais pas encore. Deux processus se jouaient simultanément, celui de l’acceptation de ma présence en tant que civile et psychologue, et celui de ma compréhension des logiques militaires. Dans un premier temps, j’ai observé et assez rapidement, j’ai fréquenté leur salle de sport afin de me rendre visible dans un autre contexte et qu’ainsi les militaires s’habituent à ma présence. Je n’ai pas hésité à participer aux manifestations, à discuter, à questionner… Peu à peu, mes collègues et moi avons co-construit un espace de travail hybride qui nous a permis de travailler ensemble en toute confiance. Cet espace répondait à la fois aux exigences opérationnelles du commandement et aux besoins humains de mes patients dans mon cadre clinique.  La pratique clinique au sein du CMIA a été parfois complexe avec des situations au croisement d’enjeux psychologiques, culturels, institutionnels, et éthiques. Cette expérience sur quatre ans m’a amenée à penser ma posture face à l’institution, à ouvrir des espaces d’échanges et de négociation, à repenser ma pratique, à transformer mes représentations.

 

Pour conclure, précisons que ces trois dimensions sont interdépendantes. Sans dispositions affectives, les connaissances restent souvent théoriques. Sans un minimum de savoir cognitif et d’attitudes ouvertes, il est difficile d’adapter son comportement. Il est donc souhaitable de les travailler simultanément pour progresser.

 

La compétence interculturelle se construit par une prise de conscience issue de l’observation et l’analyse des expériences vécues ainsi que par un engagement dans un processus d’apprentissage visant à approfondir ces trois dimensions.

Mais elle relève aussi beaucoup d’une posture à cultiver à travers les rencontres et la réflexion sur soi.

Cette posture consiste à accueillir l’altérité sans la réduire, naviguer entre des mondes de sens différents, et à co-construire un espace où chacun est reconnu dans sa singularité.

Être compétent « interculturellement », c’est accepter d’être transformé par la rencontre.

 

Bibliographie :

  • DEARDORFF, Darla.« Synthesizing conceptualisations of intercultural competence », dans DEARDORFF, D. (dir.), The Sage Handbook of Intercultural Competence, Duke, Sage Publications, 2009, p. 264-270.
  • DENOUX, Patrick.« Pour une nouvelle définition de l’inter-culturation », dans BLOMART, J. et KREWER, B. (dir.), Perspectives de l’interculturel, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 67-81.
  • FRAME, Alexandre.Communication et interculturalité : cultures et interactions interpersonnelles, Paris, Hermès Science / Lavoisier, 2013.
  • SOUCHE, L. (Dir.). (2024).11 films pour comprendre la psychologie inter et transculturelle (A. Yahyaoui, Préface; S. Mazaira, Postface). In Press

 

[1] Généticien, philosophe et essayiste français (1925-2013)