« Humilité, Empathie, Créativité » : L’Advance Command and Staff Course au Royaume-Uni :
Une scolarité sous le signe de l’interculturalité.
par le lieutenant-colonel Valentin C.
Désigné pour effectuer ma scolarité à l’Ecole de guerre au Royaume-Uni pour l’année 2024-2025, j’ai donc suivi la 28e session de l’Advance Command and Staff Course (ACSC 28) à l’Académie de Défense du Royaume-Uni localisée à Shrivenham dans l’Oxfordshire. Dans ce merveilleux coin de campagne anglaise à environ deux heures de transport à l’Ouest de Londres, les conditions étaient optimales pour recevoir un enseignement riche et varié traitant principalement des problématiques contemporaines de sécurité internationale et de maîtrise des méthodes de planification opérative. Guidés par la devise de cette Ecole, composée du triptyque « Humilité, Empathie et Créativité », ce fut aussi une occasion unique pour mes quatre autres camarades français et moi-même de comprendre le système britannique de l’intérieur et bâtir un réseau résolument tourné vers l’international. Surtout, en termes d’expérience personnelle, cette année d’expatriation permit d’appréhender l’interculturalité « de l’autre côté du miroir » et de vivre la façon dont nos alliés britanniques la mettent en œuvre au sein de leur enseignement militaire supérieur.
La formation à l’ACSC est organisée autour de quatre grands blocs s’épaulant les uns les autres. Le premier bloc a consisté en un module de pré-rentrée ne concernant que les stagiaires internationaux. Il a permis de réaliser les formalités administratives d’arrivée, d’être initié à la culture et l’organisation de la défense du Royaume-Uni, mais surtout d’être formé et entrainé aux méthodes britanniques de rédaction académique et d’état-major. Ensuite, le bloc Understand a permis de poser le cadre géostratégique actuel en passant en revue les principales théories des relations internationales, puis en s’attardant plus concrètement sur les grandes régions du monde (Europe et Otan, Indopacifique, puis puissances émergentes). Ce bloc contenait de nombreux cours et échanges autour de la stratégie (cultures stratégiques, grande stratégie, relations civilo-militaires, politiques de défense, dissuasion, etc.), avec une attention marquée sur la Russie et la Chine ainsi que le partenariat « Australia, United Kingdom, United States – AUKUS », au centre des préoccupations politiques et capacitaires du Royaume-Uni post-Brexit. Cette séquence s’est terminée par le module Managing the Defence Enterprise (MDE), centré sur l’organisation du Ministry of Defence (MoD) et à la croisée des volets capacitaire, budgétaire, organique et opérationnel. Ce module a intégré durant trois semaines une cinquantaine de personnes venant du monde de l’industrie. Puis le bloc central Operate a permis de développer la compréhension de l’instrument militaire au niveau opératif en insistant sur l’aspect multinational de la planification. Lors de l’exercice CJEX, les Ecoles de guerre de cinq nations différentes se sont échangé des délégations quinze jours durant pour conduire un exercice de planification d’une crise complexe. Tout au long de l’année, un quatrième bloc lié au « Commandement, Leadership et Management » (CLM) a été conduit au travers d’une grande variété d’activités telles que du partage de retours d’expériences, du profilage psychologique, des réflexions sur les théories du commandement, ou encore des mises en pratique en rapport avec la vie de la promotion (organisations des activités de cohésion, de tradition, et de convivialité). Lors de ce cours particulièrement dense, l’ouverture sur le monde et l’approfondissement de la connaissance mutuelle entre des stagiaires aux origines diverses a pu se poursuivre grâce à deux déplacements d’une semaine où la promotion a été répartie sur cinq destinations. Le premier déplacement portait sur l’Europe et l’espace méditerranéen, tandis que le second se voyait plus orienté vers le Sud Global. J’ai ainsi eu la chance de découvrir les problématiques concernant la République de Chypre puis l’Afrique de l’ouest anglophone au Ghana. En fin d’année, toute la Promotion put se rendre en Normandie dans le cadre d’une étude militaro-historique menée sur le débarquement de Normandie. Ce fût là une belle occasion pour nos camarades venant des contrées les plus lointaines d’apprécier la comparaison entre les arts de vivre britannique et français.
Mis en perspective avec l’enseignement militaire supérieur français, celui délivré au Royaume-Uni est nettement plus intégré avec le système universitaire. Ainsi, le volet purement militaire s’est effectué en complémentarité avec un volet académique assuré par le département des études de défense du King’s College de Londres (KCL). De façon concrète, cela signifie que les discussions et débats en groupe interarmées sont encadrés par un cadre militaire professeur de groupe assisté d’un professeur du KCL. Par ailleurs, tous les travaux écrits doivent répondre aux exigences académiques. De fait, la scolarité britannique offre la possibilité d’obtenir un Master of Arts (MA) de l’enseignement supérieur britannique en Security Studies. Un défi de taille pour l’étudiant non anglophone de naissance est alors de parvenir à formuler et communiquer des idées complexes et argumentées, que cela soit à l’écrit comme à l’oral. Cela demande des efforts intensifs de lecture puis de mise en synthèse des notions de façon à les énoncer le plus clairement et simplement possible, notamment par le biais de métaphores percutantes, tout en restant scientifiquement juste. Bien que fastidieuses, ces démarches intellectuelles s’avèrent cependant très formatrices et pertinentes au regard de ce qui est attendu d’un officier breveté de l’enseignement militaire supérieur pouvant être amené à évoluer dans un environnement international.
D’un point de vue militaire, cette année au sein de l’appareil de défense britannique offre des éléments de comparaison précieux pour mieux appréhender les problématiques de défense française. Ainsi, nos alliés britanniques semblent montrer un moindre attachement à la notion de souveraineté, tant leur outil de dissuasion est intégré avec celui des Etats-Unis et tant leur base industrielle et technologique de défense est aujourd’hui essentiellement composée de filiales de groupes internationaux de défense tels que Thales ou Leonardo, hormis pour l’aspect naval. En revanche, ils se montrent particulièrement capables de faire de chaque format d’alliance, et en premier lieu l’OTAN et les Five Eyes, des outils à même de défendre leurs intérêts nationaux et leur objectif affiché de « prospérité », selon le terme consacré.
S’agissant de la seule sociabilité militaire, cette année au Royaume-Uni s’est avérée inestimable pour appréhender le savoir-vivre et l’histoire des Armées de sa Majesté. Au travers des nombreuses activités de cohésion telles que les dîners de tradition de chaque armée ou encore la soirée dédiée au célèbre poète écossais Robert Burns, il a été possible de découvrir et comprendre une grande partie des nombreuses et multiséculaires coutumes de cette organisation. Sans doute du fait de la vieille tradition de l’excentricité anglaise, les officiers britanniques ont, notamment, cette propension toute particulière à faire preuve de flegme, d’humour bien placé et d’autodérision, le tout contenu dans un sens du spectacle faisant du moindre artifice de mise en scène un effet mémorable. Il faut aussi très certainement déceler en cela leur éducation précoce à la prise de parole et à la représentation décomplexée en public. Il est également ressorti de cette année une considération et une attention portée aux stagiaires internationaux s’avérant réciproquement bénéfique. En effet, celles-ci ont mis clairement en évidence que les efforts consacrés à leur accueil, suivi, et soutien pédagogique, améliorent, en retour, le rayonnement de l’Etat hôte. Ainsi, un important réseau de parrains, organisé et géré par l’Académie de défense, sert de relais et d’appui aux autorités de l’ACSC comme aux stagiaires internationaux. En outre, des séances de soutien pédagogique, spécialement dédiées aux officiers internationaux, sont organisées par les professeurs du King’s College en amont des échéances de rendu des travaux académiques. Très tôt dans l’année, une journée internationale permet à la communauté des élèves internationaux d’interagir et s’organiser. L’espace d’une journée, chaque nation représentée au sein de l’ACSC peut ainsi faire déguster les spécialités culinaires de son pays et en présenter ses spécificités. Loin de limiter son audience à la seule Académie de défense, cet événement a un fort retentissement dans la région puisqu’il attire un public nombreux, près de 1500 personnes, militaires comme civiles.
Cette scolarité s’est également révélée extrêmement précieuse pour ce qui est de l’acquisition et du développement d’un réseau à l’international. En effet, forte d’environ deux-cents officiers, près de la moitié de la promotion est composée de stagiaires internationaux provenant de cinquante-cinq nations différentes. Sans se limiter aux seules affinités particulières développées durant l’année de scolarité, chaque camarade de promotion est une première porte d’entrée vers sa nation et son système de défense si le besoin s’en fait sentir sur une affectation ou bien une opération spécifique. A l’heure où la conflictualité prend un tournant résolument cognitif, il paraît être du devoir de chacun d’entre nous de cultiver ce précieux bagage d’individualités extrêmement variées, mais toutes liées par le fait militaire. Le système militaire britannique semble être ainsi parvenu à entretenir de façon très efficace son réseau international d’anciens stagiaires de l’enseignement militaire supérieur. Plusieurs moyens sont mis en œuvre afin de faire vivre les rapports humains entre les cadres militaires passés par celui-ci. D’un point de vue traditionnel, chaque officier ayant suivi l’ACSC devient membre du Cormorant Club, qui permet à l’Académie de défense du Royaume-Uni de garder des liens avec de futurs et actuels hauts responsables militaires à travers le monde. Récemment, sa capacité à entretenir ce réseau s’est démultipliée grâce à la numérisation. La communauté Summit Alumni et l’application numérique qui lui est associée permettent à chaque membre d’être tenu informé directement des dernières nouvelles de l’Académie de défense et des différentes réunions d’anciens étudiants se tenant régulièrement à travers le monde. De même, les attachés de défense britanniques ne manqueront pas de convier les officiers du pays où ils se trouvent et appartenant à ce réseau lors des différentes manifestations organisées par leurs ambassades, que cela soit pour la soirée des élections législatives ou encore l’anniversaire de la Bataille d’Angleterre par exemple.
En conclusion, cette scolarité au Royaume-Uni a été riche d’enseignement quant à ce que cela signifie d’être un officier international au sein d’un pays hôte. Alors qu’il n’est plus à démontrer à quel point l’enseignement militaire supérieur est le creuset de la coopération et de l’interopérabilité humaine entre nations partenaires, elle a permis de réaliser que des actions et mesures simples à réaliser pouvaient avoir un effet démultiplicateur important au profit de l’intégration de nos camarades alliés et au bénéfice du rayonnement de la nation accueillante.
L’association Frères d’Armes remercie vivement l’auteur pour son excellent article.